dimanche 29 novembre 2009

Chronique d'un valorisateur: mot compte triple

Un valorisateur, par définition, ça parle bien. Depuis la nuit des temps qui ont vu les valorisateurs naître (au moins 20 ans), l’art et la finesse du palabre est la panacée de mes semblables…pour certains plus que d’autres d’ailleurs. Je n’étais pas conscient de cette étonnante réalité jusqu’au jour où…

J’étais assis, fesses enfoncées dans le velours de mon siège, à écouter un homme avec un gros ventre, des lunettes au bout du nez et une cravate extravagante aux motifs de cartes à jouer des années 60. Il articulait exagérément, comme s’il parlait à une assemblée de manchot maltais et en espérant se faire comprendre. Quand soudain, après un soupir de désespoir, il lança dans l’assemblée : « Si cette réalité vous semble absconse, elle n’en reste pas moins ubuesque ». Mon esprit explosa d’un Waw ! d’admiration.

Je devins donc plus qu’attentif aux expressions alambiquées qui se tramaient, toujours impromptues, lors de divers meeting. Je pus, ainsi, entendre : « Me voilà donc mari de tant d’indigence ! » ou encore « notre discussion ne me semble pas féconde du point de vue intellectuelle » et même « Il faut que nous passions au bleu le neting de la ligne de précompte afin d’éviter le marasme ». Mes yeux brillaient de stupeurs alors que mon stylo, frénétique, ne manquait pas une occasion de mettre sur papier ces perles rares de jonglerie linguistique.


Le pire, c’est quand ils commencent à parler latin ! « Mais voyez-vous, in extenso, cela me semble impossible ! » ; « Nous entrons dans un véritable casus belli » ; « Il a pris cette décision ex-officio, ce qui est intolérable ! » et même « Nous devons réaliser les portraits intuitu personnae ». Moi qui n’étais déjà pas doué en version, je me prends à lancer des « c’est pas faux » qui m’échappent quelque peu…


Ceci dit, parfois, les valorisateurs se lâchent ! Ils se mettent à « bananer » à user des « esperluettes » ou encore à se lever « dès potron minet », ce que je trouve très drôle, pardonnez m’en. Parfois, aussi, je me laisse entendre des phrases dont le sens ne manque pas de m’échapper : « ce n’est pas un cas où tout le monde se mord la queue et inversement, voyons ! » ( ???) ; « Les chefs fatigués sont fatiguant ! » ; « Chez nous, c’est la lasagne mais en plus congelé… ».



Entre alors ces hommes et femmes de bonne volonté qui, malgré eux, sont dotés d’une intelligence supérieure et se doivent, en dépit de leurs interlocuteurs limités, d’utiliser le mot juste. J’ai donc vu se perdre des « palanquée », « saumâtre », « ingénierie collaborative », « technocratique » et autre « polysémie » (qui n’est pas un groupe d’îles paradisiaques).
Mais la palme en revient à ce brave homme qui devant un auditoire de 250 personnes s’est permis d’évoquer son passé d’adolescent en ces termes : « Je faisais preuve, il faut l’avouer, d’une sorte d’indiscipline rabique ». Et ma voisine, de se pencher vers moi : « Tiens, il est juif et il n’aime pas les rabbins ! »…et moi…de la croire… *honteux*

Je m’en vais donc proposer, pour le repas de mon service, un scrabble majestueux où chacun pourra jouer de son extraordinaire habileté et tenter le tant convoité « mot compte triple » du valorisateur. Et comme le dirais ma chef: « Que ne sera-ce, mes amis ! »…oui, que ne sera-ce… ?