vendredi 12 février 2010

Chroniques d’un valorisateur : Poliment vôtre

Dans le monde fabuleux de la valorisation, la politesse est de mise. On se vouvoie, on se salue bien bas, on s’appelle « Monsieur » ou « Professeur » ou « Docteur » ou même, parfois, « Monsieur le Professeur Docteur ». Moi, je suis partisan des grosses baises, des « tu vas bien » et autres « quoi de neuf, chou ? ». Mais, apparemment, ce sont des pratiques hautement déconseillées dans le monde de la valorisation, sauf entre proches collègues (mais pas trop proches quand même !).

Récemment, j’ai salué le recteur de l’université que j’ai croisé au détour d’un couloir, sûr de ma formule et du choix de mes mots : « Bonjour monsieur le recteur ! » A proximité, un vieil ancien (c’est pout dire !) de la Faculté. Je m’entends alors dire : « Il faut une majuscule à Monsieur et à Recteur, tu sais ». Je suis resté émerveillé devant cette remarque extraordinaire : certaines personnes parviennent à distinguer les majuscules à l’oral. Je dis Waw !

Dans la foulée, je reçois l’appel d’un professeur qui, d’entrée de jeu, attire ma plus vive attention. « Monsieur Pardo, je me permets de vous saluer en cet après-midi. Je me présente, ***** *****, professeur, docteur et chercheur dans le pôle **** de la Faculté. Il m’est venu une demande que je désirerais vous adresser. M’autorisez-vous à vous adresser cette demande ? ». A ce moment précis, je me suis senti plus important que jamais. Je débordais d’un sentiment de pouvoir intense et cherchais déjà autour de moi quelque couronne improvisée à me mettre sur la tête pour compléter le tableau. Et dans ces moments, on a la sordide envie de répondre : « Non ! » et de raccrocher. Tiens ! Prends ça ! Cependant, armé de la politesse la plus exemplaire, je m’exprimai, en free styling : « Bonjour Monsieur ***** *****, j’accepte volontiers d’entendre votre demande et de la considérer ». Ce fut du plus bel effet ! L’homme a dès lors exprimé sa demande avec finesse et circonspection : il souhaitait connaître le numéro de fax du service de valorisation… soit !

Dans la même journée, je reçois l’appel d’une agence de communication où le client est roi. A ce point tel qu’ils prennent la peine de comprendre mieux que vous et avant vous quels sont vos besoins. « Monsieur Pardo, je comprends tout à fait votre opinion et je m’y rallie totalement. Cependant, je pense que vous n’avez pas complètement saisi la nature de vos besoins et, si vous l’acceptez, je me propose de les exprimer pour vous. » Avant de tomber de ma chaise, j’ai pris le soin de répondre : « Vous aurez donc compris que pour l’instant, mon besoin, c’est de ne plus vous parler ». J’ai pu, à ce moment précis, satisfaire mon envie diabolique d’un raccrochage au nez. Il a rappelé 4 fois, et j’ai supposé qu’il comprendrait bien assez tôt mon besoin d’avoir la paix.

Outre la valorisation et son monde fabuleux, le poliment vôtre se présente aussi dans la quotidien. C’est ainsi qu’en téléphonant chez mon gestionnaire de réseau électrique pour une information, je suis accueilli de la sorte : « Bonjour et bienvenu chez Ores. Je m’appelle Mathilde et je suis prête à répondre à vos questions ». Mis en confiance, je balance mon explication. La gentille dame m’écoute, me conseille et, Ô joie, se détend un peu. Après quelques minutes seulement, c’est le drame. Mathilde se rend compte qu’elle déroge complètement au protocole et dans un élan de professionnalisme, se reprend : « Monsieur Pardo, me permettez-vous de vous faire patienter quelques secondes afin que je vous transfère au service adéquat ». Quelle déception ! Déjà, moi, on ne me transfère pas aussi facilement. Puis, à la question « me permettez-vous » j’ai toujours envie de faire mon sale gosse et de répondre non. Enfin, je n’aime pas le mot « adéquat ». Bon prince, j’ai accepté le transfert ainsi que la formule de clôture : « Monsieur Pardo, Ores vous remercie de cet agréable entretien et vous souhaite une excellente journée. ».  Impressionnant d’aisance !

Sur ces bonnes paroles, je m’en vais me préparer à recevoir le Recteur pour une réunion de service et à articuler distinctement les majuscules…je ne voudrais pas commettre l’impaire de l’impolitesse.

Veuillez accepter, chers lecteurs, l’expression saluante des mes sentiments dévoués les plus distingués ! Et toc !