jeudi 20 octobre 2011

John, un client qui vous veut du bien

Ce matin-là, je suis resté planté devant mon dressing débordant pendant plusieurs minutes, atteint du syndrôme féminin du « jérienàmemettre » et hautement sceptique face à cette mi-saison que je ne sais comment habiller. Je décide donc d’assumer pleinement mon côté acheteur compulsif, hérité de gènes maternels endurcis par trois générations de professionnelles de l’achat. Ce midi, j’irai chez Jules pour acheter des pulls. Dans la vie, il faut des objectifs, pas vrai ?

C’est ainsi qu’après un léger repas, je me dirige donc vers ma boutique de prédilection où, étrangement, les vendeuses connaissent presque toutes mon prénom. Je déambule dans les allées, seul dans le magasin, jusqu’à me faire alpaguer par une charmante vendeuse : vendeuse 1. 

 
-    Bonjour monsieur ! Vous avez vu notre promotion ?

Je souris en opinant de chef et en pointant les 72 affiches qui hurlent, en orange sur fond noir, qu’il y a 15 euros de réduction à l’achat de deux pulls.

-    Ben oui, j’ai vu, oui…

Pris d’un doute subtil entre pulls, gilets, sweats et autres innovations vestimentaires, je me permets la question :

-    Dites-moi, qu’est-ce qui rentre dans la catégorie « Pulls »
-    Hé bien…heu…les pulls…

Et là je me dis : mais oui John, bien sûr ! Et pourquoi j’y avais pas pensé plus tôt ! Face à mon rictus qui semblait dire  « mais vas-y, prends-moi pour un con, je te dirai rien », elle me précise que certains clients apportent des chemises et des pantalons en réclamant la promotion et en refusant catégoriquement de comprendre qu’une chemise ou un pantalon, hé bien, c’est pas un pull ! Bref, après cette petite mise au point, je me dirige les bras chargés vers la cabine d’essayage.

Parenthèse technique d’usage : les cabines d’essayage sont illuminées par des spots entourés d’un cylindre métallique dont les bords se trouvent être très…très tranchants. Fin de la parenthèse.

Je m’ingénie donc à l’essayage des pulls quand soudain, mes immenses bras en gesticulation amènent ma main gauche à percuter violemment l’éclairage de la cabine (cf. parenthèse d’usage). Je lâche un « outch ! » ferme et discret. Vendeuse 2 :

-    Tout va bien monsieur ?
-    Oui, oui…

Pff ! Même pas mal ! Je continue donc mes essayages quand tout à coup, je me rends compte que le miroir est maculé d’une giclée  de sang, digne de celle d’un serial killer qui aurait abusé de son couteau suisse. Deux possibilités : soit mon ami Dexter n’est pas très loin et les vendeuses ne vont pas tarder à y passer, soit cette douleur au doigt n’est pas si innocente que cela. De fait, ma main, ainsi que le sol de la cabine, ainsi qu’un bonne partie des pulls que je viens d’essayer, ainsi que la banquette, ainsi que le rideau se sont transformés en un remake de Psychose.

-    wow wow wow ! * panique *
-    Tout va bien monsieur ?
-    Ah ben non ! Non, là y a comme un problème…
-    Vous voulez une taille au-dessus ?

Vendeuse 2 arrive à mon secours et découvre la scène. Panique ! « Oh mon dieu ! Oh mon dieu ! Oh mon dieu ! ». Je souris, me voulant rassurant…ce qui provoque chez elle une étrange hystérie. Pendant que le sang continue à couler, les vendeuses lancent un plan d’urgence de sauvetage…des pulls ! « Ne bougez pas de là monsieur ! Je prends les pulls ! ». Ha ben oui, prenez donc, ce serait quand même dommage que je ruine les vêtements en me vidant de mon sang… Hum ! Rapidement, vendeuse 2 nous ramène une trousse de secours de la taille d’un caddie du Colruyt et je me mets soudain à l’imaginer me suturer avec du fil à coudre et une aiguille à raccommoder…les pulls !

Rapidement, les trois vendeuses sont à mes pieds et me couvrent de soins : pansements, désinfectant, sparadraps, compresses. Vendeuse 1, avant de m’appliquer une bonne dose de désinfectant, me prévient, l’air pincé, que ça pourrait « piquer un peu ». Amusé par la situation improbable, je sors ma carte « humour de base » et au moment où le produit froid touche ma peau, je me mets à hurler gravement « whouuahhahahah !!! ». Vendeuse 1 se met alors à hurler avec moi jusqu’à ce que j’annonce : « Nan mais je déconne, hein ! ». Ca amuse beaucoup vendeuse 2 et vendeuse 3. Vendeuse 1, elle, ne trouve pas vraiment ça drôle. Bon, ok, je sors ! Le doigt enturbanné, je peux continuer mes essayages presque tranquillement.  Merci les filles.

Prise d’un certaine affection pour l’homme blessé que je suis, vendeuse 2 devient alors mon coach personnel : « Dites, vous allez en prendre un 4ème hein. Non ? C’est bête sinon, vous perdez 15 euros. Montrez-moi un peu ce que vous avez pris. ». Je trouve ça amusant et décide donc de me laisser faire. Je lui précise que je n’ai rien vu d’autre mais vendeuse 2 a plus d’un tour dans son sac :
-    Bon attendez un peu. Regardez moi.
-    Hein quoi ?
-    Ben oui, regardez moi et faites moi un beau sourire
-    *sourire bête*
-    Hmmm…vous avez déjà essayé les losanges ?
-    Hein ?
-    Les losanges ? Vous avez déjà essayé ?
-    …Hein ?





Elle me propose donc un charmant petit pull dont elle me vente les mérites. Incrédule, je me dirige néanmoins vers les essayages (avec une petite angoisse depuis l’incident). Et vendeuse 2 me suit ! Mais oui !

-    C’est gentil mais je peux essayer tout seul.
-    Ah ! Heu…ben oui mais je veux voir ce que ça donne hein !
-    Hmmmm

Après tant et tant d’attention, je finis à la caisse (les losanges dans mon panier d’achat) où vendeuse 1 semblait impatiente de me voir arriver. Il fallait bien une petite cerise sur le gâteau…non ?

J’avais préalablement flashé sur une ceinture…mais pas n’importe laquelle ! L’objet ne possède aucun trou et se compose uniquement, à une extrémité, de deux anneaux placés côte à côte. J’ai beau travailler dans le milieu de l’innovation, il s’agissait-là d’une prouesse technique dont le fonctionnement m’échappait. Je demande donc, en tout naïveté, à vendeuse 1 si, à défaut d’un mode d’emploi détaillé, elle peut me faire une démonstration. Vous saurez que les vendeuses de chez Jules sont vraiment, mais vraiment dévouées. A tel point que la gentille demoiselle quitte son comptoir pour s’agenouiller devant moi et réaliser sa démonstration directement sur le client !

C’est donc avec étonnement et rires étouffés que les autres vendeuses et clients observent la scène de la demoiselle dans sa position pour le moins suggestive, tirant avec force sur les anneaux de la ceinture pour s’assurer de la bonne mise en place…de l’engin !

« Voilà Jonathan ! Vous allez vous en rappeler de votre passage chez Jules le 19 octobre ! ». En me tendant mon sac de vêtement, elle prend soin de vérifier que mon doigt tient toujours en place et elle me glisse un bon de réduction de 15 euros sur mes prochains achats, le tout accompagné d’un clin d’œil complice et d’un petit chuchotement : « A bientôt hein !! ».

John…un client qui vous veut du bien… !