Lors d'un repas anodin, je réclamais des histoires comme on en entend rarement, de celles qui nous font sourire, qui nous étonnent, qui nous laissent penseur. Une personne s'est levée, prête à raconter ce qu'elle disait être l'histoire la plus folle qui lui était jamais arrivée. Me regardant, elle me présente de la main et articule: "Mais...vous d'abord!"
De part les âges et jusqu’à aujourd’hui, toutes les professions ont eu leur objet fétiche, symbole de leur savoir, reluisant de leur fierté. La clé à molette du plombier, le stéthoscope du médecin, le ciseau à bois de l’ébéniste, le maillet du juge prononçant la sentence. Le valorisateur ne fait pas exception à la règle. On ne le sait que trop peu et pourtant, un utilitaire de première nécessité fait la loi dans notre giron professionnel, ci-dénommé : le bic!
J’assistais à mon 96ème évènement coloco-sémino-formatif, assidu et concentré du début à la fin, comme le veut la tradition. Je hochais la tête à intervalle régulier, je fronçais parfois les sourcils en signe de doute et je levais de temps à autre les yeux au plafond comme pour mieux réfléchir…à la composition du buffet déjeuner. J’ai même utilisé un «c’est pas faux!» dont j’étais particulièrement fier et qui a rendu très jaloux mon voisin de table. Les orateurs enfin épuisés, les thermos vidés et le jus d’orange tiédi, il était temps de clôturer la session. Je rassemble alors mes affaires, enfile ma veste et craque les doigts en vue des poignées de mains à venir. C’est là qu’un des organisateurs me hèle sévèrement. Il a le bras tendu vers moi, son poing serré sur l’outil. D’articuler alors : «Voyons, monsieur! Votre bic!». Je découvrais, ébahi, l’hégémonie du bic…
Force me fut donc d’admettre que j’aurais profondément vexé mon hôte si j’avais laissé sur la table le précieux stylo à bille estampillé de la marque des organisateurs. J’imaginais soudain les comités d’organisation des nombreux évènements auxquels j’ai assisté. Je voyais cette personne à l’œil vif, au visage grave, attendre le point essentiel à l’ordre du jour : «Quid des bics?». Car dans ce monde de contrats et d’articles, de groupes de travail et de formations, de projets européens et de doctorants, le bic est le primordial, le liant, l’obligation fondamentale. Un séminaire sans bic, c’est comme une pizza sans fromage, un Laurel sans Hardy, un pile sans face, une soirée de mariage sans la compagnie créole. Bref, une totale hérésie. Qu’importe la forme ou la couleur, il faut se démarquer, être fier et pompeux et placer entre deux gorgées d’arabica : «T’as vu les bics qu’on a fait faire? Pas mal, hien?»
Bizarrement, l’hégémonie du bic s’instaure d’autant mieux chez les acronymistes chevronnés. On voit ainsi se succéder sur le métal luisant ou le plastique fragile des AST, des ASE, des RW ou des LIEU, CURIE, FEDER, FSE, ASTP, FNRS et même AVRE, SVR et autre EU ou FP7. Ma collection personnelle rassemblée, je me trouve en possession d’une version originale et méconnue du Scrabble ou chaque bic peut potentiellement rapporter un maximum de point. Mais au-delà de cet aspect ludique qui semble n’amuser que moi, les participants se prennent au jeu. Dès la première pause café, on les voit tester la résistance de l’objet. Ils l’observent sous toutes ses coutures, l’essayent des deux mains (même s’ils ne sont pas ambidextres). Un petit croquis dans la marge pour tester la couleur, la finesse, le «glissé» sur le papier. Ensuite, quelques «clics!» d’usage pour tester la mécanique. Enfin, le test ultime, celui de la barrette. Oui, cette barrette sans nom qui permettra d’accrocher le bic à son bloc-notes ou à la poche de sa veste et qui finira, on le sait tous, par voler en éclat tôt ou tard sous le son d’un «ho non!» désappointé.
Le bic nourrit également des mystères insondables qui savent néanmoins se faire discrets. Le bic ne meurt jamais vraiment. Il disparaît. Il devient léthargique du délaissement, coince sa bille, se sèche l’encre. La vacuité de son être le condamne trop souvent à l’abandon. L’objet se glisse partout, se perd et parfois se retrouve. Il se prête, souvent sans retour. Il se donne parfois, s’offre souvent. Il finit toujours par disparaître dans de mystérieuses circonstances. A quand la dernière fois où vous avez jeté un bic? Ah! Ne cherchez pas! L’acte est bien rare et pour cause… le bic a son parcours de vie, mystique et indescriptible. De main en main, il jongle des écritures dont il se trouve possédé, se déplace d’un tiroir à un autre, d’une poche à un bureau, et inévitablement, il finit dans l’éther indicible et emporte même son souvenir avec lui.
Ce matin, j’étais en réunion au FNRS. Je repensais à cette hégémonie du bic distraitement quand soudain, j’entendis mon voisin appeler l’organisatrice. Elle accourut vers lui, tout sourire, prête à lui rendre tous les services. Il brandit le bloc-notes estampillé des quatre lettres en demandant : «vous n’avez pas de bic?». La blonde arbora soudain une incommodante déconfiture et dans une gêne perceptible, se vit répondre : «Heu…non, non on n’en a pas prévu.» L’homme marqua un silence avant de lancer un «Ha..bon, ce n’est rien…» qui appuya sa déception plus encore que sa déconvenue. Il saisit alors un bic dans son veston, gribouilla sur le coin supérieur droit pour en vérifier le fonctionnement et se mit à lire les lettres «NCP», retrouvant alors une mine réjouie. Il m’a alors confié un regard attendrissant, indiquant le bic et lâchant : «Tant pis!».
Ma réflexion se termina dans le train, au voyage du retour et confirma ma dévotion au sacro-saint stylo bille. C’était au moment où ce jeune garçon sorti son Go Pass, me fixa et me demanda : «Dites, monsieur, vous n’auriez pas…un bic?»
Je prends un petit moment pour oublier les crises existentielles et m'en reviens à la légèreté d'un petit article bien comme il le faut. Ce sera très court (mais très bon!).
Ainsi, je souhaite dénoncer par la présente le comportement outrageux de certaines filles, en soirée, qui dragouillent de pauvres petits Arnaud(s?) pour ensuite les laisser choir (!) lamentablement...
Ce matin, au lever, je reçois donc ce sms, retranscrit tel qu'il m'est arrivé:
"Salut la plus jolie de la soiréee j espère que je ne vais pas te réveiller moi j suis au boulot et g pas assez dormi 1h c était pas assez-je voulais juste te dire que j aimerais faite ta connaissance autre part qu en soirée au moins maintenant tu as mon num si ça t intéresse tu m'écris quand tu veux en espérant avoir une réponse prochainement j t souhaite une bonne journée à bientôt j espère arnaud"
Déjà, mes neurones s'affolent à imaginer la situation. En tout cas, j'ai bien compris une chose: Arnaud espère. Et il espère fort. Très fort. Arnaud travaille le dimanche de Pâques. Est-il déguisé en lapin ou en poule sur un parking de Cora? Est-il vêtu de son uniforme de flic pour surveiller le tournoi de pétanque de Hornu? Est-il boucher au Spar de Wiers, ouvert les dimanches, même fériés, de 10h à 12h30?
Mesdemoiselles, même si je suis ravi d'être la plus jolie de la soirée, faites-moi plaisir: quand vous donnez un faut numéro à quelqu'un, évitez que ce soit le mien...
Maintenant, une question mi-ange mi-démon me turlupine le ciboulot: que faire de ce message? Car si toutes les dérives sont possibles, je me demande encore laquelle choisir... des propositions...? (Gnark! Gnark! Gnark!)
On traîne, on souffle, on soupire. On lève la tête au ciel et on demande : « pourquoi ? Mais pourquoi ? ». On baisse les yeux, on marche plus vite pour sentir le vent, pour sentir la vie. On traverse au rouge, on marche au bord des trottoirs. Parfois, on s’arrête, quelques instants. Des pensées s’entremêlent, s’effondrent et disparaissent. On souffle. On soupire.
Moi je veux plus. Plus loin, plus haut. Je veux plus, plus fort, plus grand. Je veux vibrer de long en large, me sentir exploser comme un oreiller, me voir éparpillé en millier de plumes, blanches et légères. Je veux m’évanouir en poussière d’étoiles, parcourir l’univers, me brûler des soleils et m’endormir sur la lune. Moi je veux plus. Bondir très haut, toujours plus haut. Quitter la terre et toucher les nuages, chatouiller les anges par les orteils et me moquer des albatros. Je veux courir, vite, très vite. Je veux dépasser les voitures sous les regards atterrés des conducteurs. Encore plus vite, traverser les frontières et voir le monde se ralentir, s’arrêter bientôt. Je veux sentir mon corps se fondre dans la lumière et avec elle, m’évaporer dans l’éther. Moi je veux plus, plus fort. Mes phalanges sur le piano, le bois qui éclate. Je veux jouer toutes les mélodies et que les mélodies se jouent de moi. Je veux m’enrober de croches et de dièses, être une cantate ou une nocturne, une sonate ou un prélude.
Et pendant ce temps, sur le bitume, on entend les pas des inconnus qui grattent le présent pour un morceau de futur, une bribe de passé. On subit l’aujourd’hui pour moins penser au demain. On veut le bonheur mais on en a peur. On se cherche, on se trouve parfois. Mais sans résultat. On traîne les pieds d’un crépuscule à l’autre, on se vide, on se conforte. Confort de ceci, confort de cela. On s’enrobe d’aventures indésirables, on piétine, on râle, on klaxonne. Comme on peut, on y met de la musique et des sons et l’on oublie. On s’oublie. Pour préserver, pour rester bon et humble. Pour aller au paradis, peut-être. On oublie. On s’oublie.
Mais je veux plus. Je veux parcourir le monde en marchant sur les mains. Et si l’on me demande pourquoi, juste répondre : « comme ça… ! ». Je veux voir le bleu des mers, l’ocre des déserts. Je veux courir dans les rues de New-York, la pluie massacrante, le Times sur la tête. Je veux gravir l’Himalaya, souffler de bonheur en touchant le sommet et m’écrier : « et c’est tout ? ». Je veux me réveiller dans un champ de coquelicot, respirer le matin, rêver du champ prochain. Plus haut, plus loin. Pleurer mille océans, n’en regretter aucun. Dériver, chavirer, me relever. Je veux des tsunamis et des tremblements de terre. Plus fort, encore. Que mon cœur s’emballe et chamade, que mon corps tressaille et se perde, que mon esprit s’embrume et mes yeux pétillent.
J’ai décroché les pieds de l’asphalte, débranché mon réveil et catapulté mon portable. Et j’ai crié du cœur, cette envie de plus haut, de plus fort. Et de surprise, et d’imprévu. Et de partage, et d’inconnu. Et de rencontres, et d’impromptu. J’ai laissé tomber les règles et les lois, laissé derrière ce qui me fissure. Et j’ai crié du cœur comme on crie d’un naufrage, aux vagues et aux cieux. Car il faut parfois savoir s’élancer, confiant du vide, comme un nuage de plumes, comme un parfum de mai, comme un vague à l’âme. Il faut parfois pouvoir se dire nos larmes. Il faut parfois fermer les yeux, fermer très fort, et regarder ensuite le ciel pour y apercevoir sa bulle d’espoir.