lundi 27 avril 2009

Chronique d’un valorisateur : l'hégémonie du bic

De part les âges et jusqu’à aujourd’hui, toutes les professions ont eu leur objet fétiche, symbole de leur savoir, reluisant de leur fierté. La clé à molette du plombier, le stéthoscope du médecin, le ciseau à bois de l’ébéniste, le maillet du juge prononçant la sentence. Le valorisateur ne fait pas exception à la règle. On ne le sait que trop peu et pourtant, un utilitaire de première nécessité fait la loi dans notre giron professionnel, ci-dénommé : le bic!

J’assistais à mon 96ème évènement coloco-sémino-formatif, assidu et concentré du début à la fin, comme le veut la tradition. Je hochais la tête à intervalle régulier, je fronçais parfois les sourcils en signe de doute et je levais de temps à autre les yeux au plafond comme pour mieux réfléchir…à la composition du buffet déjeuner. J’ai même utilisé un «c’est pas faux!» dont j’étais particulièrement fier et qui a rendu très jaloux mon voisin de table. Les orateurs enfin épuisés, les thermos vidés et le jus d’orange tiédi, il était temps de clôturer la session. Je rassemble alors mes affaires, enfile ma veste et craque les doigts en vue des poignées de mains à venir. C’est là qu’un des organisateurs me hèle sévèrement. Il a le bras tendu vers moi, son poing serré sur l’outil. D’articuler alors : «Voyons, monsieur! Votre bic!». Je découvrais, ébahi, l’hégémonie du bic…

Force me fut donc d’admettre que j’aurais profondément vexé mon hôte si j’avais laissé sur la table le précieux stylo à bille estampillé de la marque des organisateurs. J’imaginais soudain les comités d’organisation des nombreux évènements auxquels j’ai assisté. Je voyais cette personne à l’œil vif, au visage grave, attendre le point essentiel à l’ordre du jour : «Quid des bics?». Car dans ce monde de contrats et d’articles, de groupes de travail et de formations, de projets européens et de doctorants, le bic est le primordial, le liant, l’obligation fondamentale. Un séminaire sans bic, c’est comme une pizza sans fromage, un Laurel sans Hardy, un pile sans face, une soirée de mariage sans la compagnie créole. Bref, une totale hérésie. Qu’importe la forme ou la couleur, il faut se démarquer, être fier et pompeux et placer entre deux gorgées d’arabica : «T’as vu les bics qu’on a fait faire? Pas mal, hien?»

Bizarrement, l’hégémonie du bic s’instaure d’autant mieux chez les acronymistes chevronnés. On voit ainsi se succéder sur le métal luisant ou le plastique fragile des AST, des ASE, des RW ou des LIEU, CURIE, FEDER, FSE, ASTP, FNRS et même AVRE, SVR et autre EU ou FP7. Ma collection personnelle rassemblée, je me trouve en possession d’une version originale et méconnue du Scrabble ou chaque bic peut potentiellement rapporter un maximum de point. Mais au-delà de cet aspect ludique qui semble n’amuser que moi, les participants se prennent au jeu. Dès la première pause café, on les voit tester la résistance de l’objet. Ils l’observent sous toutes ses coutures, l’essayent des deux mains (même s’ils ne sont pas ambidextres). Un petit croquis dans la marge pour tester la couleur, la finesse, le «glissé» sur le papier. Ensuite, quelques «clics!» d’usage pour tester la mécanique. Enfin, le test ultime, celui de la barrette. Oui, cette barrette sans nom qui permettra d’accrocher le bic à son bloc-notes ou à la poche de sa veste et qui finira, on le sait tous, par voler en éclat tôt ou tard sous le son d’un «ho non!» désappointé.

Le bic nourrit également des mystères insondables qui savent néanmoins se faire discrets. Le bic ne meurt jamais vraiment. Il disparaît. Il devient léthargique du délaissement, coince sa bille, se sèche l’encre. La vacuité de son être le condamne trop souvent à l’abandon. L’objet se glisse partout, se perd et parfois se retrouve. Il se prête, souvent sans retour. Il se donne parfois, s’offre souvent. Il finit toujours par disparaître dans de mystérieuses circonstances. A quand la dernière fois où vous avez jeté un bic? Ah! Ne cherchez pas! L’acte est bien rare et pour cause… le bic a son parcours de vie, mystique et indescriptible. De main en main, il jongle des écritures dont il se trouve possédé, se déplace d’un tiroir à un autre, d’une poche à un bureau, et inévitablement, il finit dans l’éther indicible et emporte même son souvenir avec lui.

Ce matin, j’étais en réunion au FNRS. Je repensais à cette hégémonie du bic distraitement quand soudain, j’entendis mon voisin appeler l’organisatrice. Elle accourut vers lui, tout sourire, prête à lui rendre tous les services. Il brandit le bloc-notes estampillé des quatre lettres en demandant : «vous n’avez pas de bic?». La blonde arbora soudain une incommodante déconfiture et dans une gêne perceptible, se vit répondre : «Heu…non, non on n’en a pas prévu.» L’homme marqua un silence avant de lancer un «Ha..bon, ce n’est rien…» qui appuya sa déception plus encore que sa déconvenue. Il saisit alors un bic dans son veston, gribouilla sur le coin supérieur droit pour en vérifier le fonctionnement et se mit à lire les lettres «NCP», retrouvant alors une mine réjouie. Il m’a alors confié un regard attendrissant, indiquant le bic et lâchant : «Tant pis!».

Ma réflexion se termina dans le train, au voyage du retour et confirma ma dévotion au sacro-saint stylo bille. C’était au moment où ce jeune garçon sorti son Go Pass, me fixa et me demanda : «Dites, monsieur, vous n’auriez pas…un bic?»


1 commentaire:

  1. J'a-do-re!!! Faut y penser à tout ça quand même!!

    Par contre, pour mes statistiques personnelles, quand tu as glissé un "c'est pas faux" pendant ton colloque-formation-chépaquoi... Est-ce que quelqu'un t'a demandé ce que tu n'avais pas compris??? :-)

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