lundi 24 décembre 2012

Chroniques plaintives d'un homme sans son iPhone. Jour 13 : Le doute

C’est ce matin en me brossant les dents qu’il est arrivé. Quelques instants de mégarde et 12 jours de sevrage auront suffit à m’y plonger. Je ne l’ai pas vu arriver et pourtant, il était là, dans l’écume blanche qui s’écoulait de ma bouche, dans les cernes profondes de mes yeux, dans les petits mouvements saccadés de ma paupière gauche qui hurle au manque : le doute ! L’odieux ! Et si, au fond, je n’avais pas besoin d’un iPhone ? 

Je me suis alors mis à délirer. Mon cerveau ramolli par une si longue déconnexion a produit des idées farfelues. J’ai donc imaginé que, peut-être, ce besoin ancré si profondément n’était que le résultat d’une énorme machinerie capitaliste. Et si tout ceci n’était qu’un coup monté ? Et si ce besoin avait été créé de toutes pièces par des magnas de l’industrie, agissant en toute impunité ? Et si, finalement, il y avait moyen de vivre sans cette technologie ? Continuant dans mon délire, je me suis mis à imaginer des petits bonshommes véreux en cravate Tiny Toons qui se rassemblent autour d’un feu lors des solstices et font sonner en cœur leurs Nokia 3310 en se moquant des pauvres gens qui sont tombés dans leur panneau. Je les vois rire à pleines dents en comptant leurs dollars et en dénigrant ces pauvres acharnés qui s’usent les doigts sur les écrans d’un objet dont personne n’aurait jamais eu besoin si eux n’avaient pas eu la bonne idée de l’inventer. 

L’idée m’est donc venue de peut-être pouvoir éventuellement, qui sait ?, dans un contexte probablement envisageable…vivre sans iPhone. Quel choc pour l’esprit ! Etouffé de ce doute existentiel, je me suis alors entendu dénigrer la machine. Vivre sans iPhone, c’est peut-être éviter de se choper une tumeur au cerveau (même si on a téléchargé l’application « Wave Breaker » qui vous promet de capturer les mauvaises ondes pour les envoyer dans univers parallèle par génération d’un portail interstellaire). C’est aussi échapper à une crise de spasmophilie au rayon fromages du supermarché parce que la batterie est à 4% et que ces maudits magasins ne proposent pas de bornes électriques pour les situations d’urgence. Ne pas avoir d’iPhone, c’est encore économiser de précieux euros qu’on ne dépensera pas dans les applications « Prouts du monde » ou « Prends toi en photos et transforme-toi en Hobbit ». C’est aussi préserver ses empreintes digitales qui auront probablement disparu après 7 ou 8 ans d’utilisation intensive. 

Plus d’iPhone. Il fallait donc se représenter avec, dans la poche, un de ces appareils qu’on appelle fréquemment « téléphone portable » et dont la fonction de base et essentielle serait de…téléphoner ! C’est là que je suis définitivement parti en vrille ! J’explosais littéralement contre ces technologies barbares qui me bouffaient mon temps, mon énergie, mon argent. Je me suis mis à chercher un Nokia 3310 sur eBay et une cravate Tiny Toons. Je me préparais psychologiquement à utiliser un agenda papier ainsi qu’un crayon avec une petite gomme au bout (une rose, toute sale, que j’aurais bouffée après à peine deux jours), de gros bottins jaunes, des cartes géographiques à l’échelle 1 :10.000, des petits livrets avec les horaires des séances de cinéma et de grands appareils bancaires pour faire des virements et payer mon abonnement GSM à 15 euros qui ne comprendra plus que 100Mo de trafic web que je n’utiliserai jamais. 

Dans la foulée, j’aurais, pourquoi pas, ressorti ma machine à pain et été quérir mon levain au moulin du village ; moulin que j’aurais racheté pour y installer une petite demeure pleine de charme, loin des réseaux de la ville. Je me serais remis à écrire des lettres sur du papier avec de l’encre et à acheter des timbres à la poste en m’inquiétant de l’heure de la levée du courrier. Je me serais mis à acheter « Bio » et « équitable », j’aurais promulgué des slogans provocateurs lors de l’installation d’antennes GSM, j’aurais récupéré l’eau de pluie pour pouvoir laver mon linge dans une grande bassine en cuivre avec du savon de Marseille. J’aurais cultivé mes choux-fleurs, mes tomates, mes radis. J’aurais fait de la soupe que j’aurais distribuée aux pauvres durant l’hiver. J’aurais nourri les oiseaux avec du saindoux (qui eut cru que je parviendrais à placer le mot « saindoux » ?) que mon boucher me donnerait gratuitement, tant je serais un client fidèle. Je me serais mis à la marge de tout et tout le monde, j’aurais commencé à parler à ces petits oiseaux (que j’électrocutais jadis) en me prenant pour Blanche-Neige et en cherchant mes 7 nains. Et puis, un jour, inconscient, j’aurais cueilli une pomme de mon vergé et, après y avoir mordu de toutes les forces qui me seraient restées, je me serais effondré d’une insupportable nostalgie devant ce symbole de ma grandeur et de ma décadence : une pomme croquée ! 

Je me suis mis une grande claque dans la figure avant de perdre la boule et de devenir Amish et j’ai entamé ma journée. Lors d’une réunion, j’ai machinalement saisi le couvercle d’une boite de Ferrero Rochers sans pouvoir retenir le mouvement compulsif de mon index qui cherchait désespérément une application à lancer, un écran à scroller, une photo à resizer. Manifestement, je n’étais pas prêt à me défaire de mon précieux. L’après-midi a été atroce : les mélodies des iPhones de mes collègues se mélangeaient pour scander toutes la puissance de mes lamentations. A chaque « ding ! ding ! » qui retentit, chacun vérifie son écran afin de s’assurer que ce n’est pas de son « ding ! ding ! » qu’il s’agit, certains arguant même qu’ils sont capables de reconnaître le leur (ce que je les laisse croire, rien n’est plus fort que l’idée). 

Et pour oublier ma peine, quand j’entends le « ding ! ding ! », moi aussi je prends mon GSM et je vérifie que ce n’est pas le magasin Mobistar qui m’annonce que le temps de la disette est enfin révolu. Ce temps de doute…sans mon iPhone.

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