Lorsque dans une conversation, le sujet de la profession est abordé, je me mets à trembloter. De la sueur perle sur mes tempes et mes doigts se crispent. Lorsque la question fatidique tombe, je serre les lèvres et me mets à penser à toute vitesse. « C’est quoi ton métier ? ». Force est d’admettre que je suis contraint par l’unique réponse : Valorisateur.
Quand on est valorisateur, on comprend vite qu’il serait plus simple d’être plombier, avocat, comptable ou encore laveur de vitre ou même consultant (oui, même consultant !). Car lorsque le mot est prononcé, on a droit à un sourire dubitatif et à une moue serrée. Le tout entre le « j’aimerais bien savoir ce que c’est » et le « merde, j’ai pas posé une bonne question, il va m’expliquer, me raconter des trucs chiants et je vais devoir faire semblant d’avoir compris ». Même Word me crache ses ondelettes rouges quand j’utilise le terme !
Valorisateur, ce n’est pas un héro de Comic Books. « Super Valorisateur, vole au secours des brevets perdus et des scientifiques en déprime ! ». Non. Valorisateur, ce n’est pas non plus une insulte : « Va te faire *biiiip* sale valorisateur, va ! ». Valorisateur c’est un métier, un vrai, avec des horaires, et des trucs à faire et un salaire à la fin du mois.
Le valorisateur, il est l’interface (outch !) entre les chercheurs et les industriels, au sein d’une université. Il essaye de faire comprendre aux scientifiques qu’il vaut mieux dire « sel » que « magnésium sulfaté » et aux industriels que « chercher, c’est parfois aussi trouver ». Le valorisateur va voir des gens très importants à la Région Wallonne dont personne n’a jamais entendu parler. Mais le valorisateur, il va aussi à des colloques internationaux…
Un colloque international, c’est facile. Vous prenez un lieu pas trop pourri dans une grande ville (genre, le foyer culturel de Péruwelz, on oublie) et vous annoncez un an à l’avance l’immensité de l’évènement. Vous créez une page web où aucun programme n’est disponible, aucune adresse et aucun horaire et vous demandez 500eur par personne pour l’inscription. Facile !
Le jour J (éventuellement reporté 4 fois), vous placez plein de gens super bien habillés au milieu de tables rondes et hautes. Il faut dès lors boire du café ou du thé, prendre un petit Spéculoos et saluer les gens que vous croisez comme si vous les connaissiez de longue date en lâchant des « bonjour, ça va ? », « ca fait longtemps, hein ! », « quel plaisir de vous revoir ». Ensuite, on se rassemble dans des salles avec des vidéoprojecteurs et des PC portables. On appelle ça des ateliers (même si on n’y sculpte pas de bois). On écoute alors des gens parler de choses totalement inintéressantes qui utilisent des expressions comme « polysémie caractérielle », « ingénierie collaborative » ou « mutualisation des ressources ». Ils font des sourires et parfois, même, ils plissent les yeux et serrent le front comme pour mieux marquer la gravité de la situation. Dans la salle, les auditeurs se tiennent le menton en hochant la tête, aiguisant le célèbre et efficace : « ce n’est pas faux ! ».
Le meilleur moment, c’est le repas. Il faut l’appeler « walking dinner » et préparer des sandwiches avec du foie gras, du saumon fumé et du brie, sans oublier la feuille de salade. Il faut mettre à table des bouteilles de vins et des serviettes microscopiques. Les gens super bien habillés se rassemblent alors pour manger les sandwiches avec difficulté et articuler entre deux bouchées que « l’emprise sociale sur la démocratisation du management collaboratif est une abomination psycho-éthique ». Personnellement, moi, ça m’impressionne. Une fois le buffet vidé, les organisateurs se rendent compte que l’on est 1h15 en retard sur l’horaire et reprennent les réjouissances avec les tables rondes. La table ronde, c’est une activité ou des personnes qui savent beaucoup de choses sur presque rien se rassemblent (généralement autour de tables rectangulaires… ?!) pour faire semblant de discuter pendant qu’ils digèrent (gère !).
Le colloque se termine alors par une session de clôture, où tout le monde se frotte le ventre de satisfaction. Le travail accompli est d’ampleur, le partage fructueux. Il a été décidé que nous réfléchirons aux problématiques évoquées et que nous trouverons des solutions. Voilà un programme conclusif très pertinent.
Les gens bien habillés se saluent alors (« oui, grosse baise, hein ! »), éreintés de leur journée. Et chacun sait très bien que cette journée n’aura été qu’une symphonie vide et plate. Chacun sait que le plus important fut quand même le lunch. Chacun sait qu’il n’a rien compris de ces présentations et rien retenu des tables rondes. Chacun sait que ce colloque n’était en fait qu’un jeu de plus pour « réseauter » et balancer sa dernière cravate Tiny Toons au public, manger du saumon, boire du Sauternes et demeurer loin des coups de téléphone du bureau.
Dany Boon sera encore une fois mon maître spirituel. Car ce qu’il y a dans le colloque international du valorisateur, c’est un peu comme ce qu’il y a dans la fricadelle : tout le monde le sait, personne ne le dit…
jeudi 5 mars 2009
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C'est pas faux !
RépondreSupprimer(J'allais demander si vous vous gratifiez d'un "grosse baise" en vous quittant mais tu m'as devancée. Tu me manques encore plus).
Attends, "c'est pas faux", une table ronde...
RépondreSupprimerOn croise Alexandre Astier aussi à tes colloques? (si oui, je sens que je vais me recycler valorisateuse, moi! :-) )
Alors, par contre, pas d'accord. Consultante, c'est pas plus facile à expliquer! Surtout quand tu enchaines en disant que tu fais des analyses fonctionnelles dans le domaine du Datawarehouse! (et consultance, Word me le souligne aussi d'ailleurs!)
:-)
Moi ça fait longtemps que j'explique ton métier aux gens, ça fait bien... Je préfère parler de tes passions Biz Sophie
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